Mauvais présage pour les faux voyants

« Je vois, je vois… » de belles arnaques ! Pour en finir avec les manipulateurs qui sévissent dans le monde des arts divinatoires, une association demande aux pouvoirs publics de réglementer la profession.

"Sur Internet, 95 % des gens qui affirment avoir un don sont en réalité incompétentes", affirme Youcef Sissaoui, président de l’Inad (Illustration : 8e étage/Anissa Radina)
“Sur Internet, 95 % des gens qui affirment avoir un don sont en réalité incompétents”, affirme Youcef Sissaoui, président de l’Inad (Illustration : 8e étage/Anissa Radina)

Moquée par ses camarades et amoureuse d’un garçon qui la regarde à peine, une étudiante de 19 ans se tourne vers la voyance. Une recherche sur Google plus tard, elle trouve une oreille attentive. Et vide le compte bancaire de ses parents ainsi que ses maigres économies : plus de 20 000 euros en quelques mois. Elle a cédé au besoin d’entendre que son avenir serait meilleur. Un espoir accessible en à peine quelques clics sur Internet, où les sites spécialisés se multiplient. Et qui peut vite devenir une drogue : certaines personnes consulteraient jusqu’à 300 fois par mois.

Les jeunes filles mal dans leur peau ne sont pas les seules à se prendre au jeu des prédictions rassurantes. Noyés dans leurs problèmes de santé, d’emploi ou de famille, des Français de tous âges cherchent une solution dans les arts divinatoires. Ils espèrent une guérison miracle moyennant 2 300 euros, consultent un médium déniché sur prospectus contre la promesse de révélations et n’hésitent pas à dialoguer pendant des heures à des tarifs anormalement élevés.

À l’autre bout du fil ? « Des manipulateurs professionnels qui font tout pour les garder en ligne le plus longtemps possible », avance un avocat dont le bureau croule sous les plaintes. « Des robots parfois, de simples logiciels », renchérit sa consœur, Me Murielle-Isabelle Cahen. « Les gens se font extorquer des sommes incroyables pour du vent », observe Me Stanislas Panon. Un client de l’avocat parisien a bradé son appartement pour s’offrir un talisman indien dont il n’aura, au final, jamais vu la couleur.

« Les plates-formes font appel à des extra-lucides, des illuminés, des charlatans, véritables manipulateurs professionnels formés pour la circonstance, pompeusement baptisés “conseillers” et débitant des inepties à la chaîne. »

Sur fond de confiance et de crédulité, une gigantesque industrie de la détresse humaine s’organise. « 95 % des personnes qui affirment avoir un don sont en réalité incompétentes ». La sentence de Youcef Sissaoui est sans appel. Mais les assauts répétés du président de l’Inad (Institut national des arts divinatoires), dont l’association accompagne les victimes, ne semblent pas faire rougir les manipulateurs motivés par l’appât du gain : ils pourraient gagner jusqu’à 20 000 euros par mois grâce à leurs prédictions. Au détriment du bien-être de ceux qui les contactent et en toute impunité ou presque.

« Il est extrêmement difficile de mettre en cause la responsabilité pénale ou civile des dirigeants des plates-formes et de leurs voyants [car] nombre d’entre eux ne se situent pas en France, remarque Murielle-Isabelle Cahen. Quelqu’un qui s’estime victime peut quand même porter plainte, pour escroquerie, abus de faiblesse ou publicité mensongère », poursuit l’avocate. Mais l’arsenal juridique reste limité. Surtout depuis la suppression en 1994 de l’interdiction d’exercer le métier de deviner, pronostiquer ou expliquer les songes. Avant cette date, la faute du voyant était clairement établie : son activité était interdite et punie. « Aujourd’hui, il faut prouver l’infraction », regrette Stanislas Panon.

« C’est un vrai système mafieux »

Youcef Sissaoui, président de l'Inad.
Youcef Sissaoui, président de l’Inad.

Face à la multiplication des abus, l’Inad demande aux autorités publiques de réagir. Dans un communiqué adressé au président de la République, il réclame un minimum de contrôle et de surveillance des arts divinatoires. Remonté contre les pratiques qui décrédibilisent le travail des « 5 % de voyants honnêtes et compétents », Youcef Sissaoui enfonce le clou : « La multitude de plates-formes et de services audiotels faisant appel à des extra-lucides, des illuminés, des charlatans, véritables manipulateurs professionnels formés pour la circonstance, pompeusement baptisés “conseillers” ou “experts”, exerçant souvent sous plusieurs pseudonymes et débitant des inepties à la chaîne, sans précaution ni conscience, ne peut plus rester en l’état. »

Mais par où commencer ? L’Inad propose que chaque personne exerçant un métier en rapport avec les arts divinatoires se voie délivrer une carte professionnelle. Cette étape administrative inscrirait d’office tous les voyants dans un registre national. En cas d’abus, ce recensement permettrait très vite de retrouver celui qui pose problème et de voir si oui ou non il a outrepassé ses compétences. « Cela remédierait à une méthode assez courante : arnaquer quelques personnes, résilier sa ligne téléphonique puis disparaître sans laisser de trace, mais les poches pleines », dénonce le président de l’Institut.

« Personne ne bouge, car les grands groupes, comme Vivendi, qui possèdent les plates-formes en ligne, gagnent des sommes d’argent considérables et font tout pour que rien ne vienne déranger leur business. »

L’éventualité d’un durcissement de la réglementation fait naître la perspective d’un retour à l’ordre. Elle est même saluée par le tout jeune Syndicat des voyants de France (SVF). Son fondateur, Philippe Letourneur, rejoint l’Inad sur la définition d’un « bon voyant ». « Un professionnel de la voyance a une éthique, pense-t-il, il n’est pas là pour soutirer de l’argent et ne doit pas hésiter à refuser des consultations trop fréquentes. » S’interdire certaines prédictions, particulièrement en matière de santé, et admettre que l’on peut se tromper, fait selon lui partie des qualités requises. « Tout ce que l’on dit peut avoir un impact psychologique très fort, prévient-il. Il est donc essentiel de faire attention. » Derrière ces paroles, le souvenir de suicides causés par de fausses prédictions. « Il faut faire en sorte de ne plus mettre tous les médiums dans le même panier », plaide le syndicaliste.

"Un professionnel de la voyance a une éthique, pense-t-il, il n’est pas là pour soutirer de l’argent et ne doit pas hésiter à refuser des consultations trop fréquentes", estime le syndicat des voyants de France. (Illustration : 8e étage/Anissa Radina)
“Un professionnel de la voyance a une éthique, pense-t-il, il n’est pas là pour soutirer de l’argent et ne doit pas hésiter à refuser des consultations trop fréquentes”, estime le syndicat des voyants de France. (Illustration : 8e étage/Anissa Radina)

Mais malgré l’insistance de l’Inad, promené de service en service, les hautes sphères du pouvoir gardent le silence. L’Élysée aurait transmis la proposition aux ministres du Travail et de l’Économie numérique. « Ils l’ont enterrée, purement et simplement », affirme Youcef Sissaoui. Interrogé sur le sujet, le cabinet de Michel Sapin n’a pas donné suite aux appels de 8e étage. Celui de Fleur Pellerin répond « qu’il ne retrouve aucune trace de cette demande ». Quant aux sociétés mises en cause, elles refusent de s’exprimer*.

« Personne ne bouge, car les grands groupes, comme Vivendi, qui possèdent les plates-formes de voyance en ligne, gagnent des sommes d’argent considérables grâce à elles et font tout pour que rien ne vienne déranger leur business », avance Youcef Sissaoui. Son association et le SVF dénoncent même des pressions à leur encontre pour les empêcher de publier des listes de voyants honnêtes ou d’appeler à la vigilance. « C’est un vrai système mafieux », accuse Philippe Letourneur.

La présidence normale face au paranormal

L’Inad soupçonne Fleur Pellerin d’avoir cédé à la pression des grandes groupes financiers et d’avoir enterré sa demande. (Photo : Wikimedia)
L’Inad soupçonne Fleur Pellerin d’avoir cédé à la pression des grands groupes financiers et d’avoir enterré sa demande. (Photo : Wikimedia)

La frilosité gouvernementale en matière d’arts divinatoires ne s’expliquerait pourtant pas qu’au travers des lobbies. Les spécialistes du droit sont unanimes : « C’est très compliqué de faire le tri, estime Me Stanislas Panon. Où s’arrête la voyance ? Où commence l’escroquerie ? Sur quels critères se baser ? Tout cela est subjectif. » Impossible à première vue de légiférer dans ce domaine, mais des pistes très terre-à-terre sont avancées. « Il y a quelque chose à faire, il suffit juste de trouver des limites raisonnables », selon l’avocat parisien sans savoir vraiment où placer le curseur.

Dans l’esprit de Youcef Sissaoui, ce contrôle passerait par la création d’un organisme semblable à la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires). « L’État ne serait pas là pour distinguer les vrais voyants des faux. La question n’est pas de trancher sur l’existence du paranormal, mais juste de veiller, par des mesures concrètes ou des signalements, à ce qu’il n’y ait pas d’abus », développe-t-il. « Il serait intéressant de commencer par réglementer les prix, notamment le temps d’attente facturé par les services audiotels », envisage quant à elle l’avocate Murielle-Isabelle Cahen.

« Mais en attendant, tous les moyens juridiques dont nous disposons ne se mettent en place qu’une fois que nous avons été manipulés », se désole une victime. Et les abus continuent derrière les boules de cristal, sans que personne ne soit capable de prédire quand et comment il y sera mis un terme.

 

*À l’heure où nous publions cet article, la présidence de la République, le ministère du Travail et celui du Redressement productif n’ont pas donné suite à nos nombreux appels. Les dirigeants des plates-formes pointées du doigt par Youcef Sissaoui nous ont répondu qu’ils « ne communiquaient pas sur leurs process de recrutement ». Toutefois, le président de l’Inad reconnaît que certaines d’entre elles, notamment Wengo qui appartient à Vivendi, font des efforts. Mais contrairement à ce qu’il nous avait annoncé, le groupe n’a finalement pas souhaité répondre à nos questions.

47 commentaires

  1. ESTELLE des ENCLOS 10 années ago

    Le vouvoiement est un signe de respect c’est sûr que c’est une subtilité qui ne doit pas vous effleurez !
    Vous venez de laisser un message sur le répondeur Mme de Carli en la traitant de sal.pe et vous nous faites un message tout mielleux à son égard en vous excusant sur ce post vous êtes vraiment l’être le plus abjecte que je connaisse ! Osez vous en prendre à une femme de 60 ans atteindre d’un très grave cancer bravo et tout cela parce qu’elle a osé défendre ses idées c’est digne d’un professionnel de la voyance effectivement.
    Vous êtes irrespectueux, affabulateur, et manipulateur un joli tiercé dans l’ordre de la bassesse.
    Votre site n’est plus sous l’intitulé “syndicats de voyant de France” vous en avez changer le nom de domaine ainsi que toute vos super bannières publicitaires alors arrêter de vous la jouer “syndicat” puisque vous n’en avez jamais eu le titre un point c’est tout !
    Perso que cette affirmation vous dérange je n’en ai strictement rien à faire, c’est une réalité ne vous en déplaise. Vous ne signez plus vos messages on se demande bien pourquoi ah c’est vrai que “syndicat des voyants de France” sonnait tellement bien ….
    Pour vous tout spécialement une fable de Lafontaine que vous aurez peut plus de facilité à comprendre et qui sera plus dans vos “cordes” que la prière de Mère Tésera …..ESTELLE des ENCLOS

    La Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le Bœuf…..
    Une Grenouille vit un Bœuf
    Qui lui sembla de belle taille.
    Elle, qui n’était pas grosse en tout comme un œuf,
    Envieuse, s’étend, et s’enfle, et se travaille,
    Pour égaler l’animal en grosseur,
    Disant : “Regardez bien, ma sœur ;
    Est-ce assez ? dites-moi ; n’y suis-je point encore ?
    – Nenni. – M’y voici donc ? – Point du tout. – M’y voilà ?
    – Vous n’en approchez point. “La chétive pécore
    S’enfla si bien qu’elle creva.
    Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages :
    Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs,
    Tout petit prince a des ambassadeurs,
    Tout marquis veut avoir des pages.

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